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La part de lumière : pourquoi les communicants doivent sortir de l’ombre

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Communication réalisée dans le cadre du Colloque international « Transparence et communication » organisé par le LASCO à Bruxelles les 21 et 22 novembre 2013.

Un communicant doit-il communiquer sur lui-même ? Ou doit-il demeurer Dans l’ombre, pour reprendre le titre – symbolique – d’un ouvrage coécrit par l’ancien conseiller politique d’Alain Juppé, Gilles Boyer, et l’actuel maire du Havre, Edouard Philippe. Dans l’ombre, là où par définition le regard du public ne porte pas. Là où il ne doit pas porter, pour conserver au pouvoir sa part de mystère, de transcendance, pour reprendre l’expression du politologue Stéphane Rozès.

La Part d’ombre, c’est également le titre qu’avait donné Edwy Plenel à son ouvrage qui soldait les années Mitterrand. Comme si, au bout du compte, le pouvoir et sa postérité se réduisaient à cela : un rapport entre l’ombre et la lumière, un solde qui serait évalué à l’aune des normes de l’époque.

La communication se situerait au cœur de ce rapport. C’est elle qui le réglerait, qui le produirait. C’est en cela que la communication, et en particulier la communication politique, poserait dans sa pratique un problème moral.

D’où les reproches formulés habituellement contre la communication, accusée de « distordre » la réalité et d' »entacher » la sincérité du politique.

Comme il existe dans la théorie économique un « homo economicus« , un consommateur capable de faire en permanence des choix purement rationnels en fonction de ses intérêts propres, le tout étant régulé par la « main invisible » du marché, il existerait un « homo politicus« . Un électeur capable de voter pour ses propres intérêts, d’une façon purement rationnelle, sur la base du discours d’hommes politiques eux aussi rationnels, le tout étant régulé par la « main invisible » de la démocratie.

Dans ce schéma « idéal », le communicant prend nécessairement la figure du diable corrupteur, qui est d’ailleurs devenue un classique de la littérature politique.

On la retrouve dans des ouvrages comme Dark Genius, la seule biographie consacrée à Roger Ailes, le communicant de Ronald Reagan, fondateur de Fox News et conseiller en communication de… Jacques Chirac.

En France, on parle plus volontiers de « gourous » – comme dans le livre Les Gourous de la com des journalistes Aurore Gorius et Michaël Moreau -, voire de « sorciers », surnom donné au célèbre spin doctor Jacques Pilhan par son biographe François Bazin dans Le sorcier de l’Élysée.

Alors qu’ils dissertent volontiers sur la « conquête culturelle » de la société, théorisée par des auteurs comme Antonio Gramsci ou George Lakoff, qui est la clé de toute campagne électorale réussie, les communicants semblent impuissants à défendre leur propre image.

Pire, ils renforcent eux-mêmes leur caractère « sulfureux » en faisant du silence une vertu professionnelle. Une vertu paradoxale, et totalement dépassée.

Car s’il est nécessaire pour les communicants de respecter le secret professionnel, comme les avocats dont leur profession se rapproche évidemment, ils ne peuvent plus passer à côté de leur époque. Tout, désormais, les oblige à la transparence, sur leur métier, sur leurs méthodes et sur leurs réflexions. Quand des ministres en viennent à publier leurs bulletins de santé dans les journaux, quand une information aussi intime – et dans le cas de Dominique Bertinotti, aussi bouleversante – devient publique, on est face à un phénomène de fond. Chacun doit en prendre sa part.

Les communicants doivent assumer leur rôle, qui est d’être un rouage essentiel du système démocratique. Un système qui a, plus que jamais et de manière urgente, besoin d’eux.

De gauche à droite : Gérard Colé, Jacques Pilhan et François Mitterrand.

Pourquoi ? Parce que l' »homo politicus » n’existe pas. La « main invisible » de la démocratie non plus. L’électeur prend ses décisions comme tout être humain, que cet être humain ait fait l’ENA ou un BEP mécanique ou pas d’étude du tout : sur la base de ses émotions. Trente ans d’étude du cerveau nous ont appris, à travers les travaux d’Antonio Damasio notamment, que nous recevions les informations, toutes les informations, à travers l’ensemble de notre corps : par la vision, l’ouïe ou même le toucher. Des études menées à l’université de Yale ont, par exemple, démontré que nous trouvions plus chaleureuse une personne qui nous avait servi un café chaud, au lieu d’une boisson froide. Et chaque homme politique qui a su se faire élire connaît l’importance de la poignée de main. Du contact, accompagné d’un regard. Faire en sorte que ce contact et ce regard puissent passer à travers l’écran de la télévision, ou les pages des journaux, c’est le rôle du communicant. Nous sommes là, en tant que communicants, pour faire en sorte que la poignée de main du politique « traverse » l’écran.

Parler devant 8 à 10 millions de téléspectateurs n’est pas, comme François Hollande est en train d’en faire l’expérience, du tout naturel. Etre sincère ne suffit pas pour paraître sincère. Etre autoritaire dans son coin ne suffit pas pour incarner l’autorité publique. Prétendre gérer seul son rapport, permanent et continu, à des centaines de médias, relève au mieux de l’orgueil, au pire d’une forme d’incompétence.

Comme Gérard Colé, l’ancien conseiller de François Mitterrand, l’explique volontiers, le communicant connaît en permanence l’état réel de l’opinion. Son premier rôle est d’exposer au dirigeant quelles seront les conséquences de ses décisions, pour lui permettre de prendre des choix informés. Le communicant intervient sur la forme du discours, comme sur le choix de la cravate ou, s’il travaille pour un chef d’Etat, sur l’exposition médiatique de la Première dame. C’est un système qui est « normal« . Il est parfaitement connu et accepté Outre-Atlantique, où les élections font l’objet de « Post Mortem », de débats sur ce qui a marché ou n’a pas marché dans la campagne, et où les communicants ont pignon sur rue.

Passer de l’ombre à la lumière, ne plus accepter qu’on les réduise à une maladie honteuse de la démocratie, alors qu’ils en sont l’un des rouages les plus essentiels, et pour cela investir le débat public, voilà le défi qui attend les communicants. La part de lumière.

 

Philippe Moreau Chevrolet


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